Surdoué, douance, Zèbre : Le nouveau cache-sexe du racisme de l’intelligence
Avertissement :
Cet article ne nie en rien l’existence d’une possibilité pour
certaines personnes de développer des aptitudes, notamment psychiques et
intellectuelles, supérieures à la moyenne. L'analyse tend ici seulement à essayer d’en comprendre les mécanismes et à
comprendre comment un phénomène de mode psychologique trahit des
intérêts a priori ignorés. Le but au travers de cette compréhension est
aussi de replacer ce phénomène dans ce qui le constitue et donc
d’expliquer qu’il ne s’agit en rien d’un « don » ou d’un miracle
métaphysique, sous prétexte qu’on ignorerait les causes possibles de ce
développement psychique. Enfin, cela vise avant tout à se défaire des
tentatives idéologiques de naturalisation qui laisse croire que les
choses sont naturellement ainsi et que toute action humaine est vaine.
De même, il n’est absolument pas question de prétendre que ces
aptitudes psychiques ne peuvent apparaître que dans les classes
dominantes. D’ailleurs à ce propos, nous vous invitons à vous référer à
la dernière partie de cet article. Il ne s’agit pas non plus de minimiser
l’impact psychologique qu’une différence peut occasionner chez
certaines personnes, mais là-encore d’essayer d’en comprendre les causes
sociales et historiques qui y conduisent. Enfin, je ne m’élève pas
contre les diagnostiqués, et encore moins contre les familles qui
cherchent à juste titre des réponses, mais contre une pratique invasive
et trop sûre d’elle-même.
Cette critique est d'abord une critique des rapports idéologiques et de la mainmise d'un psychologisme sur les mentalités. Enfin, c'est un article critique, qui invite au débat et non un article universitaire.
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S’il y a bien un phénomène grandissant auquel nous assistons
actuellement en terme d’abus psychologique, c’est celui qui consiste à
désigner certains enfants et adultes comme « surdoués »,
« précoces » ou bien encore « zèbres ». Derrière un raisonnement qui se
veut rigoureusement scientifique nous retrouvons pourtant quelque chose
qui, en plus d’être un caractère historique logique, se révèle comme le
cache-sexe d’un processus de classification qui ne dit pas son nom.
Chacun y va donc de son questionnement quant à savoir si son enfant
est plus ou moins ceci ou cela : s’il échoue à l’école c’est
probablement parce qu’il est surdoué
et incompris, ou tout simplement en « réussite différée » comme nous
l’enseignent les nouveaux manuels de pédagogie. A contrario, s’il
réussit trop bien, par rapport à ses camarades, c’est aussi et sans doute parce qu’il est là-encore touché par la grâce de la douance.
Aussi, nous pourrions considérer cela comme un processus
métaphysique, une nouvelle grâce qui toucherait quelques individus bénis
des dieux. En somme ce serait tel un don, une mystique dont on rêve les
effets à défaut de comprendre les causes.
L’approche psychologique a le mérite de prendre en considération le
désarroi et parfois même l’angoisse de certains individus, pris au piège
par leur différence. Néanmoins, il semble nécessaire de venir
contrebalancer une explication qui sert les intérêts des classes
dominantes et tente sous couvert de scientificité d’écarter certains
individus, de certains milieux, sous prétexte que la nature les aurait
moins bien dotés que leur voisin. En somme, la mode des enfants
précoces, des adultes surdoués et de la douance, ne saurait taire ses
relents naturalistes voire surnaturalistes. Pourtant, les recherches
scientifiques et philosophiques ayant relancé les débats sur l’inné et
l’acquis tendent de plus en plus à montrer ce que Leontiev écrivait déjà
en 1976, à savoir que « les propriétés biologiquement héritées de l’homme ne déterminent pas ses aptitudes psychiques ».
-
Douance, haut potentiel, précocité : des concepts flous.
Le professeur de philosophie Dominique Pagani remarquait l’analogie
suivante entre un concept et une culotte : à savoir que l’un et l’autre
se caractérisent par leur inutilité proportionnelle à leur élasticité,
plus ils le sont, moins ils sont fonctionnels. Dans le cas de la
douance, et malgré l’incessant rebattement d’oreilles au sujet de la
palette d’outils et de tests sur laquelle nous reviendrons, il en va
ainsi. Les caractéristiques possibles de ce qui est désigné ou heureusement parfois diagnostiqué comme un cas de haut potentiel relèvent d’un inventaire à
la Prévert. Pourtant, le paradoxe se révèle aisément dans la
sémantique : d’une potentialité et donc d’un devenir, d’une
perfectibilité pour parler comme Hegel ou Rousseau on ne peut déterminer
que les processus d’auto-engendrement qui laissent entrevoir un
pouvant-être et non quelque chose de fixe, de figé et gravé dans le
marbre. Alors l’inventaire primordial pour formuler l’hypothèse d’une
précocité intellectuelle se base essentiellement sur les thèses d’un
psychologue, Jean-Charles Terrassier, dont on ignore presque tout si ce
n’est la fondation de classes et d’institut spécialisés pour les enfants
dits surdoués.
Mensa, l’association de personnes à haut potentiel
intellectuel, où l’on entre à partir de tests, sorte de club rotary pour
personnes différentes, soucieuses de rencontrer d’autre personnes
elles-mêmes différentes d’elles et des autres… peine elle aussi à
définir correctement le concept de « surdoué », préférant finalement
s’atteler à la définition en vigueur dans Le Petit Larousse de 2011[1]. À savoir : « C’est un enfant dont les capacités intellectuelles évaluées par des tests sont très supérieures à la moyenne » – Ironie malencontreuse pour une association sensée représenter l’intelligence. Alexandra Reynaud, auteure des célèbres Tribulations d’un petit zèbre [2],
ne parvient pas davantage à une définition plus convaincante,
quoiqu’elle insiste sur ce concept de « zèbre » qui tend à définir le
surdoué comme quelqu’un qui reste fondamentalement différent malgré sa
capacité à se fondre dans le décor.
Alice Miller quant à elle axe davantage la problématique du dit
surdoué sur le « drame » de son hypersensibilité. Bien que ses travaux
s’avèrent fort intéressants et tout à fait à même d’être recommandés,
ceux-là s’écartent de toute problématique historique, sans tenir compte
du contingent historique qui contribue au déploiement et à l’évolution
de la psyché humaine et à l’intérêt plus conséquent que nous y apportons
aujourd’hui. Mais nous aurons l’occasion là-aussi d’y revenir. Cela a
néanmoins le mérite d’ouvrir une piste plus intéressante, mais qui rend
notre culotte, ou plutôt nos concepts encore plus élastiques et moins à
même de satisfaire leur adéquation avec le réel.
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Une belle batterie Tests : Q.I, WISC etc. et l’homme dans tout cela ?
C’est la palette d’outils des sciences dite « cognitives »,
assujetties à leur modèle néokantien qui pose la connaissance comme
différente de nous-mêmes et indépendante du sujet humain. En somme, en
tentant de répondre à la question du comment, on omet déjà celle du
pourquoi et plus encore on scinde le réel au lieu de le comprendre dans
sa totalité.
Or, s'il n'y a de
scientifique que le mesurable, il fallait bien trouver une mesure à
l’intelligence : "c’est" le test de Q.I. Ce test est une mesure empirique
qui là-encore nous conduit dans sa structure même au « spiritisme
moderne »[3].
Dans ces tests, c’est l’intelligence parcellaire et non encore totale,
à défaut aussi de l’intelligence qu’on qualifie maintenant
d’émotionnelle, de relationnelle, sociale ou pratique, qui tente d’être
testée. Or, c’est laisser croire que l’intelligence est
unidimensionnelle et qu’elle existe en dehors de toute pratique, en tant
que et par elle-même. Ontologie idéaliste s'il en est...
Le Q.I ne mesure en fait qu’un score, par rapport à un échantillon
établi, cet échantillon pouvant être différents d’un test de Q.I à un
autre et offrant donc des scores et une appréciation aléatoires. En
somme ce sont des statistiques, par rapport à des exercices souvent très
scolaires et logiques. Des exercices qui correspondent chaque fois mieux à des enfants qui ont eu l'habitude d'être intellectuellement stimulés. Mais le doute plane et laisse penser que le score est une
mesure qui signifie véritablement quelque chose. Ainsi, à partir de 130
vous êtes reconnu comme haut potentiel, mais en deçà y compris à 129,
vous ne l’êtes pas. Dommage ! Quant à l’appréciation de ces scores ils
sont laissés, au grand damne de l’empirisme, aux dispositions
particulières d’un psychologue dans le meilleur des cas ou d’un institut
dont il est aisé de comprendre aujourd’hui que les potentiels surdoués
ne sont qu’une ressource de maximisation de leur profits. La douance est aussi l'occasion du développement d'un marché où le "surdoué" est d'abord reconnu dans sa valeur d'échange.
Par ailleurs, et comme le signale le Pr. Jacques Lautray, qui
enseigne à l’université Paris-Descartes : « Les tests qui sont
habituellement utilisés pour évaluer le quotient intellectuel cernent
une forme d’intelligence que l’on pourrait dire “académique, en ce sens
il s’agit de la forme d’apprentissage la plus sollicitée dans les
apprentissages scolaires. [4]»
Quant aux tests de type « WISC », s’ils sont peut-être à même
d’évaluer la forme d’intelligence dominante au sein d’un individu, ou
des prédisposition à faire quelque chose, nous n’en savons guère plus
aujourd’hui[5]…
Ce problème touche bien davantage au problème épistémologique lui-même,
d’une science qui cherche à percer les mystères de la totalité d’un
individu à partir d’outils empiristes qui le dissocient de lui-même.
Enfin, nous pourrions revenir sur les postulats qui structurent ces
tests à savoir notamment la logique formelle et binaire qui invalide
alors les hypothèses qui décideraient de faire intervenir un tiers [cf. Schéma en dessous] dans
le choix des réponses. L’erreur est ici de croire que ces tests sont
indépendants de toute forme a priori et de détermination tant
épistémologique que sociale qui en produisent un tel résultat. En somme
et c’est une critique régulière mais justifiée : ces tests servent
avant tout la reproduction sociale. Néanmoins, nous aimerions à partir
de cette analyse, l’exploiter davantage et plus profondément encore,
pour ne pas s’en tenir à une critique qui dissimule elle aussi les
moteurs d’une telle reproduction légitimée et nécessaire.
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Le nouveau racisme de l’intelligence.
Dans ses “Questions de sociologie”, en 1980, Pierre Bourdieu, devenu
depuis l’auteur de la critique institutionnelle, relevait néanmoins à
juste titre un problème dont nous pouvons constater plus encore
aujourd’hui l’étendue. Nous tenterons par la suite de développer plus
longuement ce processus, au sortir du positivisme.
En attendant, Bourdieu écrivait :
« Cela dit, je pense qu’il faut purement et simplement récuser le problème, dans lequel se sont laissés enfermer les psychologues, des fondements biologiques ou sociaux de l’«intelligence». Et, plutôt que de tenter de trancher scientifiquement la question, essayer de faire la science de la question elle-même; tenter d’analyser les conditions sociales de l’apparition de cette sorte d’interrogation et du racisme de classe, qu’elle introduit. En fait, le discours du G.R.E.C.E n’est que la forme limite des discours que tiennent depuis des années certaines associations d’anciens élèves de grandes écoles, propos de chefs qui se sentent fondés en «intelligence» et qui dominent une société fondée sur une discrimination à base d’«intelligence», c’est-à-dire fondée sur ce que mesure le système scolaire sous le nom d’intelligence. Le classement scolaire est un classement social euphémisé, donc naturalisé, absolutisé, un classement social qui a déjà subi une censure, donc une alchimie, une transmutation tendant à transformer les différences de classe en différences d’«intelligence», de «don », c’est-à-dire en différences de nature. Jamais les religions n’avaient fait aussi bien.»
et d’ajouter, tout aussi justement :
« On est toujours prêt à stigmatiser le stigmatiseur, à dénoncer le racisme élémentaire, «vulgaire», du ressentiment petit-bourgeois. Mais c’est trop facile. Nous devons jouer les arroseurs arrosés et nous demander quelle est la contribution que les intellectuels apportent au racisme de l’intelligence. Il serait bon d’étudier .le rôle des médecins dans la médicalisation, c’est-à-dire la naturalisation, des différences sociales, des stigmates sociaux, et le rôle des psychologues, des psychiatres et des psychanalystes dans la production des euphémismes qui permettent de désigner les fils de sous-prolétaires ou d’émigrés de telle manière que les cas sociaux deviennent des cas psychologiques, les déficiences sociales, des déficiences mentales etc. »
Voilà en somme le vrai visage de ce phénomène de mode vers lequel
tendent les tests d’une prétendue douance : une stigmatisation sociale,
qui préfère la psychologisation à toute compréhension sociale et humaine
dans sa totalité.
Dans le même temps, et à l’encontre de la grammaire générative du
pourtant progressiste Noam Chomsky, les chercheurs en neurosciences et
psychologie tendent plutôt aujourd’hui à s’accorder sur les hypothèses
de Piaget. Ce qui s’y défend, c’est un apprentissage au « sens fort »
déjà soutenu à l’époque par Pullum et Scholz, critiques de Chomsky, dont
les travaux montrent que l’enfant apprend essentiellement à partir de
son milieu. Cela coïncide d’autant plus avec la prématuration générique
de l’Homme [6] qui fait de cette espèce la plus sensiblement tournée vers autrui par nécessité.
En tenant compte de cela, il apparaît comme évident que le milieu
social ainsi que la richesse du vocabulaire qui va de paire avec une
pensée correctement articulée [7],
vont plus ou moins favoriser le développement d’aptitude chez un enfant
plutôt qu’un autre. Ce qui relève du déterminisme social va ensuite
être mystifié par un imaginaire du « don », rendant acceptable un
racisme réel qui ne dit pas son nom et ose se prétendre scientifique.
Ce qui relève alors du mépris social se voit totalement accepté à
partir de tests qui s’auto-valident en terme d’objectivité.. La première
question à se poser dès lors est déjà de savoir si une famille moyenne
de sous-prolétaires a le temps disponible pour tenter d’évaluer
correctement si son enfant est à même de développer de fortes aptitudes
intellectuelles ? En effet, car il n’en va pas de même pour elle que
pour une famille de classe sociale aisée ayant les capacités de se
dégager du temps avec ses enfants en leur faisant pratiquer des
activités d’éveil (bien souvent hors de prix). Puis dans un second
temps, la visite d’un psychologue, la pratique de ces tests etc.
relèvent elles aussi belle et bien d’une pratique de classe et à moins
que certains professeurs insistent dans l’environnement scolaire, il
n’est pas rare que pour des questions de mœurs et d’argent, aucune
famille de classe populaire ne franchisse un tel lieu a priori « pas
fait pour eux ».
Nous constatons par ailleurs aisément que les tests et notamment
celui du Q.I sont en parfaite corrélation avec le niveau d’étude moyen [8].
Serait-ce à dire qu’en permettant au plus grand nombre de poursuivre
des études plus longues, le résultat global des tests de Q.I
augmenterait ? Nous pourrions croire sinon que ce sont justement les
personnes ayant un Q.I le plus élevé qui accèdent à ces études, mais
là-encore ce n’est pas le cas. En réalité, l’habitude, le maniement de
certains exercices, le développement d’aptitudes psychiques augmentent
tout simplement le score, à la manière dont n’importe quel musicien ou
sportif voit ses performances s’améliorer au fur et à mesure qu’il
s’entraîne. Mais si la ligne de départ (la famille) et le chemin en
milieu de course (l’école) ne s’avèrent pas identiques pour tous,
comment juger de quelque chose dont on nous laisse croire qu’il
intervient comme une instance supérieure, comme par miracle ?
-
Idéalisme de la praxis : vers le meilleur des mondes ?
Plus grave encore, ces tests réservés à quelques-uns et qui n’opèrent
aucune effectivité concrète dans la vie de l’individu, s’inscrivent en
toile de fond d’une anthropologie qui caractérise notre mode de
production. En effet, la douance c’est la possibilité de jouir, non sans
entrave, mais sans produire. L’attestation psychologique d’une
« douance » est la reconnaissance d’une possible production qui n’a
pas nécessairement à être : en bref, on attribue un mérite à une
personne, qui lui octroie une reconnaissance en tant que surdoué, zèbre
ou quoi que ce soit, sans que cela ne l’incite à ne rien faire de ce
potentiel a priori. En revanche, qui dit « surdoué » ou « haut
potentiel », dit aussi simples « doués » et pire, « sous-doués ».
Ceux-là, n’ayant pas eu la chance d’être touchés par la grâce se verront
alors diriger vers des cursus où l’objectif ne consistera qu’à les
faire rentrer dans le rang. Ne nous voilons pas la face, alors que des
enseignes (plus que des écoles) comme Science po s’avèrent n’être que la
figure de proue d’une petite élite à même de se payer des frais
scolaires exorbitants afin d’employer le management du Capital ; bref de
faire obéir le prolétariat, les cursus pour prétendus « sous-doués » ne
servent quant à eux qu’à obéir à ceux qui nous sont présentés comme
légitimes. Or, parmi les compétences requises pour accéder à l’élite des
H.P, jamais aucun test n’est par exemple mis en œuvre pour voir si la
personne qui s’y emploie est à même de remettre en cause une autorité
illégitime, quelle qu’elle soit : politique, scientifique. Ce serait
pourtant là un des multiples exemples qui en plus de relever de
l’intelligence permettrait de jauger de la capacité éthique d’une
personne.
Trêve de plaisanterie, l’éthique ne se mesure pas, sauf à être un
carnet de vie scolaire qui juge de l’habileté de jeunes adolescents à
devenir de potentiels ennemis de tout comportement jugé « anormal ».
Ainsi, et nous le savons depuis MM. Sarkozy et Hortefeux, un délinquant
se repère dès les classes de maternelle tandis que plus tard tout
comportement insurrectionnelle se devra d’être canalisé.
Plutôt que de reconnaître une production et d’en juger par elle-même,
certains se voient offrir, en plus des meilleures places dans des
écoles dont les frais représentent le travail d’une vie pour bien des
prolétaires, la possibilité d’une reconnaissance au travers de la
douance, malgré l’absence concrète de toute production. Ainsi, nous consentons à ce qu’ils consomment, d’un point de vue social, sans produire.
Ainsi, nous voyons se dessiner des catégories et sous-catégories de
personnes, une sorte de classement accepté et jugé comme acceptable.
Alors même qu’on stigmatise aisément les différentes formes de racisme
habituel, le racisme de classe ne serait que l’expression d’une
« culture de l’excuse », par jalousie de ceux qui réussissent (Amen !).
Cela permet un dressage anthropologique d’extraction de la production,
puisque déjà récompensé par la nature. Quelle meilleure reconnaissance
peut-il y avoir alors que la nature elle-même, plutôt que la
reconnaissance d’un travail, d’une production ? Ainsi, sans même
produire quoi que ce soit, le surdoué pourra profiter et de la
reconnaissance et de la production des « sous-doués ». Au pire, il
participera à la production sans produire pour s’établir parmi les
nouvelles couches moyennes et ainsi penser s’être élevé socialement par
lui-même, en tant que self made man. Ainsi, il participe de
l’exploitation en pensant y échapper alors même qu’il ne récupère que
les miettes du banquet. À l’inverse, celui dont la douance est ignorée
verra son travail y compris intellectuel et théorique, l’être presque
autant et il devra redoubler d’efforts vis à vis de ceux qui « ne se
sont donnés que la peine de naître ». Nous assistons à un surcodage de la valeur intellectuelle
où là-encore la production est niée au profit d’une pure consommation
arbitraire. La douance devient alors aussi un mode d’intégration aux
rites initiatiques du capitalisme : la preuve qu’on peut obtenir les
fruits d’un travail qui n’a pas eu lieu ou dont on nie pour le moins
l’existence.
Or, comme Bach le signalait déjà, à temps de travail égal, n’importe
qui sans doute aurait atteint son niveau technique. Nous nous heurtons
là au problème du travail invisible. Faute de vouloir reconnaître le
travail réel et préférant les nouvelles mystiques, le temps de travail
et de réflexion passé à produire quelque chose se verra réduit au fait
que le niveau atteint provient d’un ailleurs, d’un « don », évacuant
ainsi toutes potentialités réelles et à disposition du commun.
Parce qu’à juger même que ces « haut potentiels » aient justement en
eux ces capacités potentiellement déplorables, cela ne signifie pas que
les autres ne peuvent pas les déployer pour autant, en y ajoutant
là-encore du travail. De même, l’adage dit bien que qu’un intellectuel
assis va moins loin qu’un con qui marche… Il en va de même entre un
« sous-doué » qui s’exerce des heures et un surdoué qui reste sur cette
reconnaissance idéaliste vis-à-vis de toute praxis. Pour bien comprendre
le problème de l’idéalisme de la praxis il nous suffit de nous
représenter quelqu’un dont la vie consisterait à ne jamais produire
aucune tâche ménagère, mais qu’une autre personne exécuterait à sa
place, sans qu’il daigne bien vouloir s’en apercevoir. Alors, malgré
l’insalubrité qui devrait régner dans le lieu, l’idéaliste de la praxis,
niant le travail de nettoyage de l’autre, en viendra à imaginer que ce
nettoyage est le fruit d’un tiers inclus, bien qu’inexistant – sorte de
main invisible de la propreté…
-
Hypersensibilité et Psyché comme construction historique.
Comme cela a été signalé plus haut, il est un point intéressant au
sujet des Zèbres, c’est l’hypersensibilité qu’on leur prête. Ce point,
relevé très tôt par Alice Miller a eu le mérite de montrer que le
surdoué, s’il en est, ne développe pas une intelligence
unidimensionnelle, mais que sa capacité relationnelle et de
compréhension d’autrui peut le conduire à comprendre très vite certaines
situations et comportements. C’est là un point intéressant, et sans
doute indéniable, néanmoins il ne manque pas de faire une nouvelle fois
l’impasse sur les conditions matérielles et historiques qui rendent ce
phénomène possible et donc absolument pas extraordinaire.
En effet, de même que le mariage et l’attention portée aux enfants
ont pu se cristalliser autour de l’amour et ce de manière communément
partagée dans les pays dits Occidentaux, depuis le développement des
moyens de production moderne et les avancées hygiéniques, la psyché,
comme résultant de la praxis historique se voit modifiée et nouvellement
codifiée. Les conditions sociales et économiques offrent davantage la
possibilité de s’intéresser à autrui, de le comprendre, d’être davantage
en contact avec lui dans un rapport d’amour et pas simplement de
subsistance. La crainte de la mort précoce, entre autres, ayant presque
totalement disparue chez nous, l’inconscient s’autorise davantage à
accueillir des affects qu’ils repoussaient auparavant pour sa survie et
par incompatibilité sociale et coutumière. Aussi, tout comme il n’y a
rien d’étonnant au fait que les enfants dépassent leurs parents, sans
quoi il n’y aurait ni Histoire ni progrès dans l’Histoire, il n’est pas
plus étonnant de voir des enfants plus sensibles aux relations avec
l’autre. De plus, les conditions permettant de rendre cette disposition
plus universelle qu’auparavant, elle apparaît comme un phénomène nouveau
dont on peine à expliquer les causes du fait du nombre recensé. Or,
cela relève du progrès logique de la conscience humaine dans le
processus de libération qui est le sien.
Néanmoins, cela revient une fois de plus à poser la question éthique.
Or, ce n’est jamais ce plan qui est valorisé actuellement chez les
personnes dites « surdouées ». Au contraire, ce à quoi nous assistons
lorsque le diagnostic est très tôt posé c’est à la mise en route d’une
machine infernale dont nous avons vu plus haut qu’elle consiste tant que
cela est possible et accepté, à détourner les principes éthiques. Ce
détournement s’opère au profit d’une intelligence postulée qui est mise
au service d’un contrôle de la production et des producteurs. Ainsi, il
n’est pas rare dans les diagnostics précoces de l’élève reconnu comme
surdoué, fort de sa présence en tête [9]
de classe, conduisent à transformer le processus éthique viable en un
détournement des aptitudes en vue de l’obtention d’un gain, d’un profit
quitte à jouer contre le commun.
-
Pour une compréhension matérialiste et dialectique de notre héritage humain.
Toutes ces considérations ne font sens en revanche, que si l’on
replace ce phénomène de douance dans un moment historique où il est
propice qu’il apparaisse. En effet, de part une tendance trop idéaliste,
y compris en science, de la compréhension du psychisme et par
détestation de tout « historicisme », on ne cesse de réinventer la roue.
Or, de surdoués, il y en a toujours eu. D’autant que nous ne confondons
pas là ce qui relève du génie avec le phénomène de douance. La présence
plus conséquente de ce phénomène, outre qu’il est en grande partie dû
aux plus nombreux tests réalisés, provient d’un processus à l’œuvre dans
toute l’Histoire : c’est le progrès de l’humanité. Mais, fort
d’antihumanisme et d’anti-progressisme, et plutôt que de concevoir
l’Histoire dans ses moments et processus qui inscrivent en fond de
l’humanité un progrès technique et humain, on en vient à oublier que la praxis évoluant, la psyché évolue aussi.
Aussi, une génération qui grandit avec les moyens techniques que nous
connaissons, en pleine révolution numérique, avec internet, Google
Earth, Wikisource, etc. couplée à un ensemble de considérations
pédagogiques et éducatives, ne peut que fort heureusement laisser
entrevoir un développement plus important des aptitudes psychiques
autrefois jamais stimulées. Comme le prouve alors les statistiques
rapportées à l’échelle historique, le Q.I moyen pour revenir sur ce
test, n’a cessé lui aussi d’augmenter au cours du siècle.
Là encore, point de miracle, mais une conséquence logique de
processus dont on daigne voir l’existence, du fait de leur impact
épistémologique et politique sans doute trop déstabilisant pour une
classe dominante qui souhaite conserver la totalité du gâteau.
En réalité, la pensée de demain viendra d’où on ne l’attend pas,
c’est-à-dire qu’elle sera le fruit de conditions économiques,
matérielles que nous connaissons, issue d’une crise qui nous incite à
faire des choix, et contingente à une pratique épistémologique qui n’est
plus en phase avec la quête d’universalité. Cette pensée pourra être
efficiente et émergée en dehors des sentiers habituels battus (grandes
écoles, universités, arènes politiques etc.). C’est cela peut-être qui
effraie…
-
La jalousie au fondement de la critique ?
Un proverbe Chinois dit « les vérités qu’on aime le moins à entendre sont celles qu’on a le plus d’intérêt à savoir. »
et à ce stade de la critique j’ose imaginer que les personnes, les
groupes et institutions ayant établis leur pouvoir sur les bases
précédemment décrites trouveront n’importe quel prétexte relevant de la
psychanalyse de Bazard pour attaquer mon propos. C’est pourquoi, et bien
que cette parenthèse s’écarte de l’analyse, je me permets de répondre à
l’une des fausses critiques courantes, à la première personne.
Certains n’hésitent pas à penser que la remise en cause de ce qui
s’apparente à un problème politique, éthique et scientifique n’est que
le fruit d’une frustration, d’une jalousie. Alors je rassure mes
lecteurs sur ce point, si j’émets cette critique c’est justement parce que je ne m’élève pas contre les diagnostiqués, et encore moins contre les familles
qui cherchent à juste titre des réponses, mais contre une pratique
invasive et trop sûre d’elle-même. Cette pratique, j’en ai moi-même fait
les frais ayant parfois réussi haut la main certains de ces tests
auxquels je n’accorde aucune importance. Mais, étant issu d’une classe
populaire, cela n’a servi qu’à étendre la division sociale au sein de la
famille, à terme. Or, plus jeune, le refus familial revendicatif par
« bon sens », de me faire évaluer, pour me faire devenir « autre »,
m’apparaît aujourd’hui comme le seul don véritable qui m’a permis de me
donner goût au travail plutôt qu’aux acquis illégitimes.
Aussi, je ne revendique et ne revendiquerai jamais aucune forme de
douance, de même que j’incite les familles à voir dans leur enfant sa
particularité et à composer avec. La seule chose que je suis à même de
revendiquer, c’est ma production, qui existe et qui elle peut
abondamment être critiquée. Ce que j’ai construit, si petit soit-il, est
le fruit d’un travail long et acharné, qu’on souhaiterait passer sous
silence pour que cela ne soit plus que du travail invisible.
Quant à la nécessité de prendre en charge des adolescents en quête
d’identité, c’est là le problème de n’importe quel adolescent, et il est
même nécessaire que cette question se pose à lui. Il fut un temps où
plutôt que d’employer une batterie de tests déconcertant, la littérature
et la philosophie bien employées et enseignées répondaient à une bonne
partie de ces questions.
La problématique liée à la douance n’est que le reflet révélateur
d’une pratique anthropologique plus profonde dont nous pouvons constater
les effets sur bien des plans. En effet, c’est une discrimination
objective qui tait son nom sous couvert de scientificité alors même
qu’elle relève d’une pratique de domination et de négation envers une
large frange de la population. La science cognitive pratiquée ainsi
devient un outil d’exploitation légitimé.
Or, nous devrions plutôt revendiquer une science dialectique de
compréhension des processus à l’œuvre dans l’ensemble des dynamiques
humaines. Ainsi, c’est l’universalité et le commun qui pourront
reprendre leur place plutôt que l’asservissement de presque tous par
quelques-uns.
Loïc Chaigneau pour son blog, Initiative Communiste et Étincelles.
Le 03/09/2017
[2]
Le concept de Zèbre a été formulé par Jeanne Fiaud-Facchin, dans le but
de réduire les incompréhensions qui entourent les « surdoués ».
[3] « On
voit apparaître ici manifestement quel est le plus sûr chemin de la
science de la nature au mysticisme. Ce n’est pas l’impétueux :
foisonnement théorique de la philosophie de la nature, mais l’empirisme
le plus plat, dédaignant toute théorie, se méfiant de toute pensée. Ce
n’est pas la nécessité a priori qui démontre l’existence des esprits,
mais l’observation expérimentale de MM. Wallace, Crookes et Cie. Si nous
avons foi dans les observations d’analyse spectrale de Crookes qui ont
amené la découverte du thallium ou dans les riches découvertes
zoologiques de Wallace dans l’archipel malais, on exige de nous que nous
croyions de même aux expériences et découvertes spirites de ces deux
savants. Et si nous déclarons qu’il y a tout de même là une petite
différence, à savoir que nous pouvons vérifier les unes et non pas les
autres, les voyants spirites nous rétorquent que ce n’est pas le cas et
qu’ils sont prêts à nous donner l’occasion de vérifier aussi les
Phénomènes de spiritisme. En fait, on ne méprise pas impunément la
dialectique. Quel que soit le dédain qu’on nourrisse pour toute pensée
théorique, on ne peut tout de même pas mettre en liaison deux faits de
la nature ou comprendre le rapport existant entre eux sans pensée
théorique. Mais alors, la question est seulement de savoir si, dans ce
cas, on pense juste ou non, et le mépris de la théorie est évidemment le
plus sûr moyen de penser de façon naturaliste, c’est-à-dire de penser
faux. Or, selon une vieille loi bien connue de la dialectique, la pensée
fausse, poussée jusqu’à sa conclusion logique, aboutit régulièrement au
contraire de son point de départ. Et voilà comment se paie le mépris
empirique de la dialectique : il conduit quelques-uns des empiristes les
plus terre à terre à la plus saugrenue de toutes les superstitions, au
spiritisme moderne.
[4] Cf. http://www.atlantico.fr/decryptage/pourquoi-votre-qi-ne-dit-pas-grand-chose-votre-intelligence-desole-sharon-jacques-lautrey-637241.html
[schema]
[6]
La taille du bassin chez la mère n’étant pas suffisamment conséquente
par rapport au développement du néocortex, le temps de gestion humain
postulé à 12 mois normalement, n’est que de neuf mois. Cela rend le bébé
moins viable que n’importe quel autre mammifère à la naissance. En
conséquence de cela il a nécessairement besoin du rapport à l’autre pour
se maintenir en vie.
[7] Si l’on accepte là-encore d’arrêter de croire que « pensée et langage » sont absolument dissociés…
[8] http://www.douance.org/qi/qicorrel.html#corps
[9]
Ignorant de la constance macabre dans le phénomène de notation…
Phénomène dont tout élève qui entre en classe préparatoire prend
conscience…
Loïc Chaigneau,
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