L'histoire comme processus de libération chez Hegel
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« Les pensées vraies et la
pénétration scientifique peuvent seulement se gagner par le travail du concept.
(…) Nous devons être persuadés que la nature du vrai est de percer quand son
temps est venu, et qu’il se manifeste seulement quand ce temps est venu ;
c’est pourquoi il ne se manifeste pas trop tôt et ne trouve pas un public sans
maturité pour le recevoir ; (…). »
Hegel, Phénoménologie de l’esprit,
trad. Jean Hyppolite, P. 61
Pour Hegel, l’histoire s’inscrit dans l’automouvement du
concept lui-même. Le concept est ce qui rend possible la totalisation par
l’esprit des différents moments de l’histoire. Chaque moment est alors une partie
de la composition de la vérité, du tout. Le concept porte en lui-même les
moments de l’histoire avec leurs positivités et les contradictions qu’ils
contiennent : il porte le mouvement du vrai et du faux comme
accomplissement de la vérité du tout. Il n y’a plus dès lors d’opposition entre
la raison et le réel, entre ce qui est pensée et les moments positifs de
l’histoire. La raison n’est pas un instrument formaliste de la connaissance
mais le reflet du mouvement réel de l’histoire universelle. L’histoire est
réalisation de l’idée comme logique, comme nature par ce qui se réfléchit hors
de soi et comme esprit par ce qui opère un retour à soi.
C’est pourquoi, l’histoire comme
représentation du concept est d’abord un mouvement qui intègre la transformation
comme essence. Cette transformation est une articulation dialectique qui ne
cesse de se faire et de se défaire, dans un rapport qui outrepasse la logique
classique de la cause et de l’effet. L’un et l’autre n’existent qu’ensemble.
Aussi, l’histoire s’inscrit comme un long processus où les représentations
désassemblées prennent forment dans le principe d’unification du concept. Ce
processus ne vise pas à parvenir à la liberté, pas plus qu’il n’est le point
terminal d’une vérité donné, mais il est
un processus de libération. L’histoire doit alors être pensée chez Hegel
comme inscrite dans le mouvement propre au concept et non comme une catégorie
qui viendrait la fixer et la définir comme une énième notion.
Le mouvement de l’histoire est circulaire et
n’existe que par l’épaisseur historique qui donne son sens au présent.
. Le sens de l’histoire : circularité
ou ligne droite ?
L’histoire comme
mémoire nous traverse au même titre que le temps par l’expérience pure et subjective
que nous en faisons. Mais parfois, le temps semble nous échapper (sommeil,
coma), et c’est la représentation intellectuelle qui vient ressaisir le tout
dans lequel nous pensons nous inscrire. Pour Hegel justement, le long travail
du concept est de rendre possible la conception de l’histoire en y soustrayant
les représentations communes du temps. La ligne droite qui voit l’irréversible unique
comme le temps qui passe entre les trois phases à partir desquelles nous
catégorisons le temps (passé, présent, futur) et où il semble sans retour à la
catégorisation du temps comme cercle unique de l’éternel retour, la tentative
de saisie de l’histoire hégélienne vise à s’affranchir de ces deux modes de
représentations du temps. Le temps est ressaisi là-encore dans sa structure
propre qui est un devenir permanent à penser non pas comme quelque chose qui
disparaît sans laisser de trace ou comme quelque chose qui se répète à
l’identique mais comme la représentation d’un mouvement dont le négatif est le
devenir historique. Le devenir est ce qui pose le mouvement comme premier.
La philosophie hégélienne se présente alors
comme une tentative d’abolition des catégories ordinaires qui permettent de
représenter le temps pour formuler et concevoir l’histoire dans une temporalité
qui n’est plus ni naturelle ni mécanique mais spirituelle. Le développement de
l’histoire n’est pas alors l’effet d’une quelconque cause extérieur qui
viendrait bouleverser l’équilibre d’un système clos mais l’œuvre d’une
dynamique interne qui nie l’appréciation ordinaire de la temporalité naturelle.
Le temps lui-même est l’unique réalisation du présent à intégrer comme unité
dans ses différents moments qui composent le tout et non à mettre en opposition
avec ce qui passerait sans n’avoir plus aucune épaisseur qui le constituerait.
Au contraire, plutôt que de disjoindre ces moments en les séparant, la tâche de
la philosophie et d’abolir ces disjonction pour concevoir leur unité au travers
de l’histoire comme réalisation de cette unité en mouvement.
Hegel tranche
alors avec la représentation de l’histoire comme chaotique et hasardeuse comme
nous l’avons vu mais aussi avec une conception de l’histoire qui
s’apparenterait à une ligne droite unidirectionnelle et indéterminée. La
représentation qu’il en donne et qui se veut épouser le mouvement du concept
est celle du cercle :
« Chacune des parties de la
philosophie est un tout philosophique, un cercle se fermant en lui-même, mais
l’Idée philosophique y est dans une déterminité ou un élément particuliers. Le
cercle singulier parce qu’il est en lui-même totalité rompt aussi la borne de
son élément et fonde une sphère ultérieure ; le tout se présente par suite
comme un cercle des cercles, dont chacun est un moment nécessaire (…) »
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, trad. Bernard Bourgeois,
§ 15 P 102
La figure du cercle des cercles est un retour à soi enrichi. Il n’est jamais retour à soi du même, mais retour à soi qui s’est extériorisé est enrichi. Le mouvement du concept qui se présente comme cercle des cercles est telle une spirale qui enregistre le processus en œuvre dans l’histoire. En cela, Hegel rompt aussi avec le formalisme pour porter l’attention philosophique sur le contenu. C’est à ce titre que Jean-Marie Vaysse écrit dans Hegel, temps et histoire : « Lorsque je dis que César est allé en Gaule je ne nie pas son séjour en Gaule, mais je le dépasse, de sorte que le « est allé en Gaule » est toujours présent dans le César se battant contre Pompée ou se rendant aux Ides de Mars. [1]»
La représentation
par le cercle est l’image de la réconciliation du fini et de l’infini. C’est ce
qui s’atteint soi-même après être allé hors de soi. Le cercle est
représentation de l’infini réel qui comprend en lui les moments du fini, du présent,
qui n’a lieu que comme résultat du passé. L’enjeu est ici la saisi du
développement pour parvenir à ce résultat. La philosophie dans sa démarche
spéculative rassemble ce qui a été séparé. Dès lors, le fait de concevoir
l’histoire signifie l’intégration du passé non plus comme ce qui n’est plus
mais ce qui est intériorisé, notamment par l’esprit. Le point de vue de
l’entendement qui fixe, sépare, catégorise les moments et qui précède Hegel
dans l’histoire de la philosophie est mis de côté au profit d’une temporalité
dialectique qui fait sens dans l’histoire. La figure qui permet sans doute le
mieux de se représenter cette circularité du temps est en fait probablement la
fractale.
L’histoire apparaît alors comme la résolution
de l’Idée absolue en une totalité qui se constitue à partir de l’idée théorique
et de l’idée pratique. Dans l’histoire, l’idée le devient pour elle-même, par
la réconciliation de la raison et du réel et l’histoire universelle s’inscrit
comme un processus toujours en devenir. Peu à peu nous voyons se former ici la
structure d’une faisabilité de l’histoire qui prend sens au-delà des apparences et des représentations
communes. La transformation est au cœur
du processus interne qui lie l’histoire dans sa totalité. (...) A suivre.
Loïc Chaigneau, Penser et transformer le moment présent, T.I Hegel, éditions Delga, 2019.
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