La révolution comme résultat et processus en devenir.
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La
fossilisation involontaire et malheureuse du MDH (matérialisme dialectique et historique) a conduit à faire de deux
concepts majeurs développés par Marx, à savoir l’infrastructure et la
superstructure, des éléments fixes et adaptables comme tels. Il en dérive alors
un dualisme méthodique entre d’un côté, un matérialisme dialectique dont on
retire la quintessence hégélienne et de l’autre, un matérialisme historique,
mais quasi anhistorique puisqu’indépendant des modes de productions et de leurs
tensions. Ici, les rebelles de confort, qu’ils soient structuralistes ou
existentialistes ont affaibli la colonne vertébrale d’un MDH unifié et concret.
C’est ainsi que, comme le résume Aymeric Monville : « Ainsi va-t-on
voir apparaître une sociologie et une économie qui évacuent l’histoire, de même
qu’une histoire qui se cantonne de manière positiviste aux faits sans proposer
d’interprétation. Dans ces découpages, des idéologies peuvent se partager le
terrain conquis : c’est ainsi qu’il y a eu un partage de Yalta tacite
entre d’une part, le structuralisme, de l’autre, l’existentialisme pour régner
sur l’empire des « sciences humaines ». Soit on jouait la structure
contre l’engagement dans l’histoire. Soit on acceptait l’histoire, mais hors
des structures. Les tremblements de l’existentialisme d’un côté, l’impavidité
froide du structuralisme de l’autre. Soit l’ouvrier vu part Sartre, soit
l’absence d’ouvrier chez les Bororos vue par Lévi-Strauss[1].[2]»
Il apparaît donc nécessaire et légitime de reconsidérer le MDH à
partir de sa triple composante matérialiste, historique et dialectique. De
fait, Marx ne se contente pas d’établir l’influence des forces productives sur
les rapports de production ou encore de l’infrastructure, sur la superstructure
idéologique. Il en ressort surtout ce qui opère le basculement de l’une vis-à-vis
de l’autre. Bref, il en déploie le devenir historique en fonction d’une
synthèse qui est le mode de production. Reprenons, si Marx écrit bien :
« L’ensemble de ces rapports sociaux forme la structure économique de la
société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et
politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience
sociale. [3]».
Soit le positionnement d’un édifice superstructural et idéologique qui
détermine la conscience, dépendant en amont des rapports sociaux et
économiques, ainsi que du travail concret. Donc, nous avons une conscience du
monde, ce que Marx résume par l’idéologique, les formes politiques, juridiques,
religieuses etc. qui sont directement le résultat du déploiement des conditions
de vie sociales et économiques. Il poursuit très clairement en expliquant
que : « A un certain degré de leur développement, les forces
productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de
production existants, ou avec les rapports de propriété au sein desquels elles
s’étaient mues jusqu’alors, et qui n’en sont que l’expression juridique. [4]» Il s’opère alors un
renversement. Marx intègre un point de basculement proprement dialectique. Il
relève les antagonismes propres à un mode de production. Ce dernier étant la
synthèse entre des forces productives déterminées et les rapports sociaux
(juridiques, politiques, etc.) qui encadrent ces forces productives. C’est de
l’écart, de la distanciation, du creusement entre les forces productives et les
rapports sociaux qu’alors émerge un moment de « révolution sociale [5]».
En cela, Marx tire de Hegel le principe de
négativité qui rend possible le réel comme rationnel en ce qu’il puise en son
sein son autre, sa différence. Mais là où Hegel définit une négativité, Marx
voit dans le réel une force même de basculement, une production, une
transformation qui se produit au sens là encore littéral de ce qui se donne à
être en vue de quelque chose. S’il y a bien un travail du négatif, c’est par la
réalité même du procès de production. Tout ce qui est, ici au sens historique,
pose en même temps son autre[6]. Le réel s’objective de
part sa transformation même. Là-encore, il y a continuité et discontinuité
entre Hegel et Marx, bref, il y a héritage concret en dernier ressort. Pour
Hegel, les contradictions s’affirment dans la pleine réalisation de la raison
et du Concept, pour Marx en revanche, elles ne se concilient pas mais font
émerger une positivité d’un moment antagoniste. De là, il faut saisir la révolution
non comme le Grand Soir mais comme un résultat. La révolution n’est ni un
projet utopiquement construit ni un processus quasi métaphysique. Au contraire,
elle se constitue sous le double rapport du résultat et du mouvement
théorico-pratique. Soit, comme accomplissement et dépassement des antagonismes
au sein d’un mode de production. En ce sens, la révolution française est
résultat des mutations internes au féodalisme, d’une modification des
techniques, c'est à dire des forces productives en inadéquation avec les
rapports de productions féodaux. La révolution ne vient pas bouleverser le tout
d’un monde du jour au lendemain mais peut émerger et s’instituer, affirmer sa
domination réelle là où, jusqu’alors, elle n’était qu’en germination, soit en
domination formelle[7].
De même, la révolution est continuelle en ce qu’elle se présente comme ce
mouvement d’abolition, lent mais concret, de l’état actuel des choses. Elle est
un travail incessant entre une pratique de classe et la restitution de la
pratique d’une classe afin d’advenir à la conscience pour soi. Si alors il y a
pratique révolutionnaire en acte, il y a compréhension révolutionnaire en
puissance. S’il y a pratique révolutionnaire dans les actes que posent les
communistes et syndicalistes du C.N.R et de l’après-guerre, ceux-ci
s’instituent avant même d’être pensés concrètement dans le champ de la
totalité. Mais le travail philosophique doit consister à lier cette totalité pour montrer le progrès
en acte d’une conscience de classe. Ainsi, dans un rapport de force, apparaît
aussi le réel en dehors de la légende. A savoir que ce qui se pose à ce moment
de l’histoire par exemple, a vocation à l’universel, parce que ces acquis sont
ceux de l’humanité et non au service d’une minorité.
Dès lors, l’homme en tant que sujet collectif
dans l’histoire se positionne comme ce sujet particulier qui à la fois chose
entre les choses se donne à être autre chose. Son rapport à l’objectivité passe
par lui-même et par sa transformation du monde. La distinction idéaliste entre
le sujet et l’objet du monde est rompue. La production humaine n’est pas simple
répétition du même, instinct de survie. Elle est bien au contraire un produit
d’une activité, donc d’un acte et d’un sujet qui agit sur le monde en le
transformant et en se transformant lui-même. Aussi, cette emprunte sur le monde
s’objective en ce qu’elle pose tout à la fois la réalité d’un monde et d’objets
produits indépendants de la seule perception humaine et de la seule
subjectivité, mais aussi en tant que liant dans l’histoire. L’objet produit est
continuateur phylogénétique, il est ce qui reste d’objectivable et de concret
dans la production sociale. Le mode de production est alors tout aussi
objectivable en ce qu’il est dépendant du développement des forces productives.
Il est non seulement objectivable mais identifiable. Le procès de production
est résultat des rapports sociaux et unité possible d’un moment historique
donné. Ainsi, il permet de penser à partir de la totalité la diversité d’un
moment. C’est la raison (et non simplement cause) pour laquelle la marchandise
ouvre le premier livre du Capital, comme phénomène social proprement
capitaliste en tant qu’elle y développe, dans ce mode de production, une vie autonome. La marchandise se
détermine comme vie et l’homme comme marchandise dans les rapports de
production capitaliste. Ainsi, les hommes épousent une réalité qu’il s’agit de
démystifier. Les hommes sont alors acteur en tant que sujet de l’histoire et
producteur des forces et support de leur domination idéologique puisque l’un
dérive de l’autre. C’est le propre de l’immanence du Capital.
![]() |
1946 : Aufhebung du salaire, conquis sociaux et domination formelle. |
Enfin alors, la révolution, si elle est un
résultat comme fruit du procès de production et de ses antagonismes, est dans
sa composante politique un point de départ des mutations des rapports de
production. Soit, comme le définit Marx, le moment du passage de la domination
formelle à la domination réelle et notamment institutionnelle, dans le cas de
la bourgeoisie capitaliste notamment. La révolution est le moment où les rapports
de production adviennent comme l’expression des forces productives. Ainsi, la
phase socialiste de planification n’a pas tant vocation à l’accélération des
transformations relatives aux forces productives (puisqu’elles sont le réel
dans sa teneur proprement humaine) qu’à joindre dans le mode de production
émergent, les rapports de production aux forces productives en ce que les
premiers deviennent alors le reflet cohérent des secondes. La révolution
politique devient alors nécessaire, mais comme affirmation d’une positivité,
après un long travail du négatif qui est travail de la production[8]. Ceci démontre néanmoins que la révolution
politique, surface de la révolution sociale, se doit d’être conduite par un
parti de classe qui soit à l’avant-garde de la saisie de cette révolution
sociale.[9] La révolution est cause de
soi (comme production humaine), elle est immanence en ce qu’elle s’accole au
devenir même du mouvement historique. Le processus révolutionnaire engendre son
essence et l’organisation de classe vient affirmer (en son sens dialectique) un
contenu. De nouveau, nous réaffirmons alors, à l’encontre du mécanisme et du
positivisme, une téléologie non causale de la révolution. La révolution n’est
pas reproduction, de même que l’histoire ne se répète jamais à l’identique. La
révolution est production et interdit par définition toute régression
mécaniste. Le sens alors, est double accomplissement du sens comme direction et
comme signification, mais d’un sens qui se dit dans son devenir et se déploie comme
liberté.
Loïc Chaigneau, Pourquoi je suis communiste ? Essai sur l’objectivité,
Tous droits réservés.
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Delga, 2019.
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La révolution comme résultat et processus en devenir
[1]
Pour compléter, cf. Michel Clouscard, Critique
du libéralisme-libertaire, Delga, 2013.
[2]
Cf. Aymeric Monville, Les jolis grands
hommes de gauche, Delga, 2017, p. 99-100.
[3] Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Avant
propos, Philosophie, Gallimard, folio « essais », p. 488-489
[4]
Ibid
[5]
Ibid
[6] « Une
chose n’est sursumée que dans la mesure où elle a accédé à l’unité avec son contraire ;
selon cette détermination plus précise en tant qu’il s’agit d’un réfléchi, on
peut de façon appropriée l’appeler moment. » , Science de la logique, 1831, ch. 1, ed. Suhrkamp
[7]
Cf. Marx, Chapitre VI inédit du Capital.
[8]
Cf. Lénine, Deux tactiques, 1905.
[9]
Parce que, comme l’indique Lénine dans La
maladie infantile, ce n’est que lorsque ceux
d’en bas ne veulent plus et ceux d’en haut ne peuvent plus que la révolution
peut avoir lieu. Mais cela ne se fait pas à la seule manière de l’insurrection
qui, le plus souvent, termine dans un bain de sang.
Table des matières du livres.
Avant-Propos
Introduction
I-Connaître le monde
A. Etablissement et idéal d’unification des sciences.
1. L’epistémologie kantienne et néo-kantienne.
2.Le matérialisme et les sciences
B. Obstacles epistémologiques et idéologiques à l’unification des sciences.
1. les obstacles epistémologiques.
2. la question du déterminisme comme unification opérative des sciences.
C. Redéfinir l’objectivité en sciences humaines et sociales.
1. Critique de la critique de Popper
2. Moments dialectiques et vérité
3. Ratifier la logique de la production
4. L’objectivité comme relation ternaire.
CCL première partie.
II - Critique des approches cogntivistes et positivistes de l’homme.
A. Logique formelle et logique dialectique
1. Le devenir et la contradiction comme fondement de la logique dialectique
2. logique de l’esprit et logique de la praxis.
Introduction
I-Connaître le monde
A. Etablissement et idéal d’unification des sciences.
1. L’epistémologie kantienne et néo-kantienne.
2.Le matérialisme et les sciences
B. Obstacles epistémologiques et idéologiques à l’unification des sciences.
1. les obstacles epistémologiques.
2. la question du déterminisme comme unification opérative des sciences.
C. Redéfinir l’objectivité en sciences humaines et sociales.
1. Critique de la critique de Popper
2. Moments dialectiques et vérité
3. Ratifier la logique de la production
4. L’objectivité comme relation ternaire.
CCL première partie.
II - Critique des approches cogntivistes et positivistes de l’homme.
A. Logique formelle et logique dialectique
1. Le devenir et la contradiction comme fondement de la logique dialectique
2. logique de l’esprit et logique de la praxis.
1. Fondements du positivisme en sciences humaines et sociales.
2. Pour une papproche totale et dynamique du fait social.
C. « Chez l’homme, La volonté parle encore quand la nature se tait » : critique du cognitivisme
1.Cognitivisme et neo-naturalisme
2. Postulats du cognitivisme et premières critiques.
3. La composante sociale de l’individu comme détermination première.
CCL deuxieme partie.
III - Pour un matérialisme dialectique et historique
A. Le réel apparaît toujours en négatif des apparences.
1. Objectivité d’un produit social et historique : les classes sociales.
2. L’illusion individualiste : la déroute du self made man.
3. Biens communs et propriété privée.
B. L’homme comme totalité : l’homme par l’homme.
1. La révolution comme résultat et devenir.
2. Le point de vue de la totalité
3. Phénoménologie de la conscience de classe.
C. Philosophie de la praxis.
1. Le sujet comme reflet de lui-même dans l’objet de sa production.
2. La production du corps-sujet.
3 Plus-value et sur-travail.
D. Actions objectives et pratiques intersubjectives.
1. Du contrat social
2. le parti de classe et l’avant-garde révolutionnaire
3. Esthétique et pratiques intersubjectives.
CCL troisième partie.
Conclusion générale